Quel Concarneau voulons-nous ? (2) Du bon usage de l’espace littoral

Second moment, appuyé sur une analyse du projet de Concarneau Cornouaille Agglomération. Est exploré le dilemme de la croissance urbaine qui oppose deux formes: la forme extensive – l’étalement des lotissements dans les zones AU (à urbaniser) et la forme intensive – la densification dans les zones U (urbanisées) du PLU. La pression de la réglementation tend à la densification partout mais avec quelles conséquences pour les paysages urbains du littoral ?
La ville mange la campagne
La maison de ville joint le rêve d’une maison à soi, l’attachement à un coin de nature jardiné et la proximité de la vie sociale et culturelle urbaine. Or les maisons de ville, à l’origine souvent tenues par des gens de condition modeste, sont devenues inabordables financièrement. La composition sociale d’un quartier comme celui qui entoure la Corniche reste mixte, mais elle est tirée vers de nouveaux arrivants aux meilleurs revenus. Le coût devient prohibitif pour beaucoup.
D’où cette recherche d’un foncier abordable, en périphérie des villes, plus près de la nature et en même temps pas trop loin de la vie urbaine, avec l’appoint de deux voitures par foyer. En périphérie de Concarneau, mais aussi, en raison des prix, autour des agglomérations situées au Nord de la voie express (Saint-Yvi, Elliant). C’est ainsi que la ville mange la campagne avec ces dizaines de programmes, réalisés ces dernières années, en cours ou à venir.
Densification, effets pervers
Pourquoi densifier la ville ? Parce que l’étalement des lotissements détruit des espaces naturels ou cultivés. Par son emprise, il imperméabilise les sols. Il est demandeur d’infrastructures coûteuses (réseaux, voies publiques). Il allonge les trajets pour accéder au lieu de travail ainsi qu’aux commerces et services. Il est énergivore et produit un surplus de gaz à effet de serre. Il oblige des communes sans grandes ressources à investir dans des équipements collectifs (éducation, santé), tandis que les communes plus riches, mais relativement délaissées, voient certains de leurs équipements sous-utilisés (fermeture d’écoles). Ainsi, tandis que Concarneau piétine, la population d’agglomérations comme Elliant ou Saint-Yvi s’accroît sensiblement.
La loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (loi ALUR, 2014), précisément, a pour objectif affirmé d’arrêter la périurbanisation illimitée et de favoriser la densification des zones déjà urbanisées et des « cœurs d’agglomération » [1]. Elle stipule que la consommation d’espaces naturels doit être plafonnée. Avant d’urbaniser une nouvelle zone (2AU), il faudra identifier les possibilités de densifier les zones déjà bâties (U). Elle rend caduques le COS et la surface de terrain minimale pour bâtir. Elle instaure la possibilité d’imposer une densité minimale de construction dans les secteurs desservis par les transports en commun. Dans les zones à urbaniser (1AU), l’idée est de densifier les lotissements au profit du petit collectif ou de l’habitat groupé et de permettre la construction d’une maison supplémentaire en divisant les parcelles. Dans les zones (U) déjà urbanisées et les centres-villes, l’idée est de promouvoir le « réinvestissement urbain » : il s’agit d’utiliser tous les espaces disponibles pour les densifier.
Ces articles de loi, du coup, menacent les paysages urbains, avec une incitation forte au remplissage de tous les espaces non bâtis, qualifiés de « dents creuses », à la division des parcelles comportant du terrain non bâti et au renouvellement de la ville par destruction-reconstruction de bâtiments plus élevés. Et ceci au détriment des respirations vertes, des espaces publics et du patrimoine architectural. Le motif écologique est retourné en un prétexte pour lâcher la meute des promoteurs avec des programmes de standing qui, faute d’obligation à ce sujet (ratio de logement social), ne permettent en rien la mixité sociale. Ils vont générer, de plus, des problèmes de stationnement et de circulation, avec leurs conséquences en termes de pollution, de qualité de vie et de sécurité des riverains.
Concarneau, horizon 2030
S’agissant de Concarneau, l’argumentaire de la municipalité relaye l’analyse chiffrée du SCoT : la population de Concarneau a baissé depuis le pic des 20 000 habitants en 2008 ; elle est vieillissante; son solde naturel est négatif (les chiffres de l’Insee le confirment sur la période 2004-2015); le nombre d’élèves a diminué ; il y a pourtant près de 1000 demandes de logement locatif social non satisfaites (chiffre avancé par le Maire en juin 2016) ; environ 1500 actifs habitant Concarneau vont travailler dans une autre commune (à Quimper pour la plupart) tandis que 2600 actifs extérieurs viennent travailler à Concarneau (chiffres 2006), manifestant ce qui est qualifié par le SCoT de « ségrégation socio-spatiale ».
Après avoir décrit la dérive du prix du foncier qui a pour conséquence une croissance urbaine plus forte au Nord du territoire qu’au Sud, l’objectif que fixe le SCoT est de « contrecarrer cette dérive ségrégative et ses effets pervers » [2] en ralentissant la croissance démographique au Nord et en amplifiant celle de Concarneau. Il s’agit de faire de cette dernière un « centre structurant » entre les pôles Est et Ouest de Quimper et de Lorient. Les cibles (minimales) fixées à Concarneau pour la période 2011 à 2030 sont: + 2500 habitants, pour atteindre 23 000 habitants à cette date ; + 2400 logements, en tenant compte du phénomène de décohabitation (soit 120 logements supplémentaires par an en moyenne), avec 25% en « réinvestissement urbain » (c’est-à-dire pris sur l’espace urbain déjà construit); une densité minimale de 25 logements à l’hectare (40 dans le centre-ville) ; 20% minimum de locatif social ; une consommation foncière maximale de 166 hectares.
Le but affirmé est de faire venir dans notre commune des jeunes couples d’actifs, de préférence ceux travaillant à Concarneau. Louable intention, mais outre que les chiffres de référence sont à actualiser avec l’évolution récente de Concarneau, cela ne justifie pas l’orientation actuelle de l’urbanisme concarnois. Les opérations de standing qui défigurent le quartier de la Corniche ne sont pas destinées à de jeunes couples démarrant leur vie active. Le projet Foch prévoit de diviser par deux le seul espace vert public du centre-ville et va engorger ce secteur de Concarneau. Inversement, le cœur de la ville reste en partie abandonné à la vacance tandis qu’à la périphérie les zones à urbaniser voient peu de construction de petit collectif. La tendance est donc à l’étalement ET à la densification avec menace sur le patrimoine rural et urbain. Encore une fois, on est perdant des deux côtés.
Une menace plane sur la Corniche
Or, le patrimoine architectural et les paysages urbains significatifs valorisent une ville qui ne doit pas se réduire à la Ville close, devenue un piège à touristes. Certes, les « hôtels » situés le long du Quai Pénéroff, font partie de la Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager (ZPPAUP) de Concarneau. Dans une ville marquée par un passé de pêche intensive, deux de la trentaine des anciennes conserveries ont été requalifiées, l’une en Centre des Arts et de la Culture, l’autre en caserne des pompiers (aujourd’hui déménagée) ; de même, la Criée aux thons a été rénovée en Pôle nautique.
S’agissant de la Corniche, les villas situées en front de mer, dont les plus anciennes datent de la grande époque balnéaire (avec sa première vague d’investisseurs au 19ème siècle), ainsi que l’ancien « Grand Hôtel de Cornouailles » sont également inclus dans la ZPPAUP. Or, c’est tout le quartier en amont qui mérite d’intégrer cette protection. Bord de mer et constructions en retrait forment un tout, et, depuis la Loi Malraux de 1962, la protection ne s’applique pas qu’aux seuls édifices remarquables, elle peut être étendue à des quartiers entiers.
Ce quartier de la Corniche – et pas le seul front de mer – apporte un plus à Concarneau, en tant que lieu de promenade, caractéristique par son charme fait de petites maisons individuelles, semblables par leurs dimensions – en général R+1+combles -, diverses par l’architecture, les matériaux et les couleurs, avec des jardins arborés en fond de parcelle et des courettes sur le devant. Ce secteur, en arrière du front de mer, a été loti et bâti à partir des années 1930.
Or, deux opérations portant sur des immeubles collectifs sont en cours de réalisation dans ce secteur. L’une remplit à ras bord une parcelle sur laquelle se dressait une jolie villa italianisante, la villa Fournier (rue Toiray), l’autre fait de même à la place des anciennes Affaires maritimes, auparavant annexe de l’Hôtel Beau Rivage (rue Hascoët).
Un troisième projet concerne la parcelle arborée située en cœur d’îlot, avec débouché sur la rue Victor Hugo. Par leur gabarit (R+2+combles), par leur architecture standard et par l’artificialisation des sols (les parkings et leurs voiries), ces opérations contredisent l’urbanisme environnant fait de petites maisons « de bord de mer » avec leurs jardins.
Le mitage du quartier par des immeubles collectifs a donc commencé et les promoteurs sont en embuscade pour saisir de nouvelles opportunités. Le paysage urbain est saccagé par des opérations qui ne laisseront qu’un legs insipide. A terme, les maisons du bord de mer, à supposer qu’elles soient toujours protégées, ainsi que les autres pavillons qui auront survécu, seront ceinturés par des immeubles collectifs : le charme et la qualité de vie de cette partie de Concarneau seront définitivement perdus.
A suivre: (3) Alternatives
Etienne Lang
Blog : http://www.parolesdetraverse.fr
Crédits photographiques. Atlas de la ville de Concarneau – Schéma extrait du SCoT de CCA – Projet de modification du PLU de Concarneau présenté à l’enquête publique en 2016 (secteur Foch), projet remis en chantier après un avis défavorable du commissaire-enquêteur – Carte postale tirée de Concarneau il y a 100 ans en cartes postales par Christophe Belser – Photos personnelles.
Notes
[1] L’intention de la loi ALUR est précisée dans le document gouvernemental: http://www.logement.gouv.fr/IMG/pdf/alur_fiche_lutte_contre_l_etalement_urbain.pdf
[2] SCoT, document 1a, p25. Le SCoT de CCA explore également d’autres chantiers qui ne sont pas développés ici : le développement économique (également mangeur d’espaces avec les zones d’activités artisanales, industrielles, commerciales ou de services), les transports, les risques écologiques, etc.
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