Quel Concarneau voulons-nous ? (1) Plaidoyer pour une «ville durable»

« Quel Concarneau voulons-nous ? » est une réflexion sur l’urbanisme de notre commune. Elle interroge des problématiques qui sont, pour une large part, communes à tous les espaces urbains, ruraux ou littoraux de France. C’est la contribution personnelle d’un membre d’Asso-Cornouaille, qui n’engage pas l’association dans son ensemble.
Cette contribution est constituée de trois moments : dans le premier, ici publié, est examinée la contradiction apparente entre exigence écologique et défense du patrimoine. Une issue est pointée en direction d’une « révolution » dans la démocratie locale.
Développement durable ou patrimoine durable ?
Qui est contre le développement durable ? Qui est contre le patrimoine durable ? Ils sont plébiscités. L’un exige de densifier les villes pour éviter l’étalement périurbain; l’autre commande de préserver les bâtiments historiques et les quartiers dignes d’intérêt. Or, sanctuariser notre héritage architectural fait obstacle à la densification et densifier la ville implique la destruction de l’ancien. Impératif écologique et respect du patrimoine se contredisent.
D’un côté, la préservation des traces du passé, du long terme de l’histoire. De l’autre, la survie de la planète avec le souci des générations futures, enjeu majeur qui domine tous les autres, car pour qui se perpétueraient les remparts de la Ville close si toute vie humaine venait à disparaître ? Un enjeu à pas si long terme car les décennies à venir sont décisives : il y a urgence, et les décisions doivent enfin être prises.
La solution de ce dilemme paraît facile. Sur le fond, les deux injonctions sont complémentaires : elles concernent toutes deux un héritage à transmettre, une solidarité entre les générations passées et la génération présente d’une part, et entre la présente et celles à venir d’autre part. Sur le plan pratique : la densification de l’habitat d’accord, mais pas là où il y a un paysage urbain à préserver ni là où il y a des espaces verts à protéger ; la densification soit, mais à visage humain, en harmonie avec l’architecture environnante, avec du petit collectif là où c’est possible, de la réhabilitation là où il le faut et de l’éco-urbanisme partout.
Pas si facile pourtant d’appliquer ces intentions dans les faits. Il y aura toujours débat entre des injonctions contraires : quel type de densification adopter ? Quel patrimoine préserver ? Quels espaces non bâtis, espaces verts « sauvages » ou espaces verts « domestiqués » des jardins et des terres agricoles, protéger ?
Cet apparent conflit de valeurs s’inscrit dans le contexte de la « valeur » fric, sous la pression du libéralisme dominant et de la financiarisation de l’économie, avec son cortège de spéculation immobilière. C’est un jeu à trois bandes. L’économie « déracinée » de la spéculation se heurte à l’écologie « enracinée » à visage local et menace partout le patrimoine naturel ou bâti.
Le coût du foncier, le coût de la construction, le coût des infrastructures, s’invitent au débat. Dans une situation où il y a creusement des inégalités de revenu et de « patrimoine », avec un taux élevé de pauvreté et près de quatre millions de mal-logés voire de pas logés du tout, se pose l’exigence toujours repoussée d’un « droit au logement » effectif. L’économie du profit privé ne peut régler cette question, l’écologie du bien commun, au contraire, a le souci d’y répondre.
Comment la nature recule sur tous les tableaux
Les jeunes couples qui disposent de faibles revenus demandent du locatif social, et il en faut pour faire baisser les prix ; avec des revenus plus élevés ils peuvent viser la propriété d’une maison. Vu les prix du foncier dans les centres urbains, ils s’éloignent à la périphérie de la ville et vers les communes rurales : c’est la périurbanisation qui couvre les sols de zones pavillonnaires, mitant l’espace naturel et agricole puis formant une trame continue de lotissements qui tend à la conurbation, le long des routes et du littoral.
Ce cocktail qui met en scène la pression de la spéculation immobilière et les demandes des habitants aboutit à la situation paradoxale du Concarneau actuel. On assiste à la densification du quartier bordant la Corniche, au prétexte de lutter contre l’étalement urbain ET à un étalement urbain qui se poursuit allègrement à la périphérie, avec la mise en route continuelle de nouveaux lotissements. D’un côté des espaces verts urbains, respiration nécessaire de la ville, sont menacés d’être rasés, de l’autre des espaces naturels et des terres agricoles disparaissent sous les pelleteuses. On est perdant des deux côtés.
Et en prime, on a le cynisme des promoteurs qui se réclament des vertus du patrimoine littoral pour mieux le détruire. Ainsi la « villa Harel » (1923-2011), à la décoration intérieure exceptionnelle, détruite par l’opération immobilière Les terrasses rose marine, avec promesse d’installer un restaurant en rez-de-chaussée, pour valoriser ce secteur de La Croix. Au final, l’agent immobilier qui a traité l’affaire s’installe au pied de l’immeuble : la boucle est bouclée !
Ainsi la publicité du promoteur qui vante une « situation exceptionnelle, à 100 mètres des plages » pour une opération en cours rue Toiray, Le Clos de la Corniche : 22 logements en deux bâtiments qui bourrent une parcelle sur laquelle se trouvait auparavant une remarquable maison d’architecte et de peintre, la « villa Fournier »(1916-2014).
Un permis contesté
L’évolution de la ville de Concarneau dépend de la législation nationale (Code de l’urbanisme, Loi « littoral »), des prescriptions du SCoT local (le Schéma de Cohérence Territoriale de Concarneau Cornouaille Agglomération) et de la réglementation du PLU (Plan Local d’Urbanisme de la ville de Concarneau) [1].
Le SCoT, qui couvre le territoire des 9 communes associées a été publié en 2013 et vise l’horizon 2030. Le PLU de Concarneau a été adopté en 2007. La procédure de sa révision n’a été actée qu’en mai 2016 en Conseil municipal, une révision qui va s’étaler sur plusieurs années et qui devrait aboutir à décliner au niveau local les prescriptions du SCoT. La municipalité s’est assoupie et pendant ce temps, les promoteurs ont pris le pouvoir en s’engouffraient dans les opportunités offertes par le PLU actuel.
Soit le permis de construire accordé par la municipalité au 11, rue Victor Hugo, dans le quartier de la Corniche. Ce projet concerne une parcelle occupée par une « maison de maître », construite en 1900, et son parc ; un immeuble collectif est projeté sur la moitié du terrain, détruisant plus de 1600 m² d’espace vert densément arboré. L’immeuble de 17 logements est enclavé dans un îlot constitué d’une trentaine de maisons individuelles. Il comporte un débouché en goulot sur une étroite parcelle donnant sur la rue Victor Hugo.
La municipalité déclare que ce programme est conforme à la législation nationale et à la réglementation locale. C’est inexact. Des illégalités ont été repérées sur ce permis par rapport à la réglementation actuelle, relativement à sa proximité du rivage et à son insertion dans l’environnement. Par son gabarit (4 niveaux), par son architecture et par l’artificialisation des sols, cette opération est en contradiction avec l’urbanisme environnant fait de petites maisons avec leurs jardins. Elle constitue une « agression » pour les nombreux riverains mitoyens de ce projet – paysage modifié, co-visibilité, perte d’ensoleillement, bruit, pollution – ainsi que pour tous les usagers du secteur. Le recours contre ce permis, un des objets de la constitution d’ Asso-Cornouaille, sera tranché en justice.
Cela signifie aussi que pour stopper la voracité des promoteurs dont l’appétit est assouvi par les responsables municipaux, il faut adopter une réglementation adéquate. Le PLU nouveau doit fournir le cadre d’une conciliation entre développement durable et patrimoine durable, éviter l’étalement périurbain sans détruire les espaces verts urbains, trouver un équilibre gagnant entre l’extension urbaine et le renouvellement urbain.
Comment penser la ville dans la déshérence de la démocratie locale ?
C’est le moment d’intervenir et ce moment doit être démocratique. Le public et les associations, en particulier la dérangeante Asso-Cornouaille, doivent pouvoir s’exprimer. Le public et les associations doivent pouvoir s’exprimer. Il faut une procédure ouverte, co-construite avec les habitants en amont de la rédaction du nouveau PLU et de l’ « enquête publique » qui s’ensuit, avant que tout ne soit déjà joué.
L’article L. 110 du Code de l’urbanisme déclare en préambule : « Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences. » Dans le respect des lois qui valent pour tous et sans prétendre faire sécession de la nation, chaque territoire est le patrimoine commun de ceux qui l’habitent ou qui en font usage.
Or, ce qui est, par son énoncé même, « commun » c’est la commune, Concarneau en l’occurrence, qui ne doit pas être la « propriété » des élus durant leur mandat, mais qui est le « bien commun » des habitants. Dans le doute qui s’installe face à notre système « démocratique », dans la rupture entre élus auto-satisfaits et citoyens insatisfaits, la commune est l’échelle adéquate pour ressourcer la démocratie. Contre la tentation d’une dérive populiste et autoritaire, la solution est à chercher du côté d’une nouvelle légitimité démocratique.
Cette nouvelle légitimité ne peut reposer sur le simulacre des Conseils de quartier, des conseils attentionnés mais le plus souvent réunis à huis clos et sans résultat tangible. Pas non plus sur des ateliers de travail entre personnes cooptées. Encore moins sur les rares réunions publiques où le Maire dialogue-de-sourds avec les habitants. La démocratie locale est d’une désolante pauvreté à Concarneau : la commune, ici, ne produit plus de « commun ».
Procédures d’une démocratie participative
Et pourtant une démocratie ouverte, vivante, transparente, dans un dialogue entre élus et administrés où les décisions soient co-construites, est possible à l’échelon local. Une démocratie qui déplace les valeurs. Les administrés ne sont plus des individus manipulés par les promesses qui fleurissent lors des compagnes électorales puis devenus intrusifs et gênants dans l’intervalle. Pensez au fait que le Maire ne daigne pas répondre à plus de trente recours gracieux qui lui sont adressés contre les permis de construire des rues de Courcy et Victor Hugo : le mépris règne pour des citoyens de bonne foi.
Dans un moment démocratique, au contraire, les «administrés» cessent d’être tels pour participer à leur propre administration. Au lieu de la relation figée représentants (les élus) / représentés (les citoyens), se développe une nouvelle relation entre la multitude constituante des citoyens et le corps constitué des élus.
Sans prétendre à une impossible administration directe, sans s’illusionner sur la volonté des élus et des citoyens de s’engager dans cette entreprise, il est néanmoins possible d’instituer des lieux de dialogue pour aboutir à des décisions partagées. Il ne s’agit pas de viser un illusoire consensus (hormis le consensus sur quelques principes) : il y a toujours des divergences de perspective et des conflits d’intérêts. Le propre de la démocratie, c’est la capacité à traiter pacifiquement ces conflits, et l’avantage d’une démocratie vivante c’est de pouvoir aboutir à une décision raisonnée qui, sans satisfaire tout le monde, est du moins prise en toute transparence et pour des motifs explicites.
Concrètement, on peut penser à différentes procédures: conseils de quartier aux portes et fenêtres ouvertes, ayant libre accès aux documents municipaux et dotés d’un « budget participatif »; ateliers qui donnent « une part aux sans-part » en permettant aux citoyens restés en marge de la vie collective d’exprimer leurs compétences « de terrain » ; jury citoyen réuni par tirage au sort ; droit de pétition pour saisine du Conseil municipal ; référendum d’initiative locale; commission de contrôle des engagements municipaux ; etc. La démocratie participative a un caractère intempestif, elle est inconfortable pour les élus et pour les services municipaux ; elle demande une volonté politique des élus et un investissement prolongé des citoyens. Elle n’est pas la panacée. Mais il faut la tenter. C’est une agora qui permet, par son simple fonctionnement, de dépasser la politique de l’intérêt à courte vue de quelques-uns au profit d’une réflexion sur le bien commun.
à suivre: Du bon usage de l’espace littoral
Etienne Lang
Blog : http://www.parolesdetraverse.fr
Crédits photographiques: Carte postale et photos personnelles – Villa Fournier: coll. particulière (à noter que, contrairement à ce qui se répète, la villa a été construite en 1916 et non en 1904, par l’ingénieur et peintre Georges Fournier, sans parenté avec le peintre plus connu Alfred Victor Fournier) – Extrait du permis de construire du 11, rue Victor Hugo.
Notes
[1] Le SCoT est publié sur le site de Concarneau Cornouaille Agglomération. A noter que les références chiffrées cités par le SCoT datent en général des années 2008-2010. La réglementation du PLU est affichée sur le site municipal de Concarneau, mais pas le Rapport de présentation qui en donne pourtant la justification.
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