Concarneau, 3 octobre 2017
Monsieur le Ministre d’Etat,
Nous souhaitons par la présente attirer votre attention sur les risques collatéraux que comporte le futur Plan Logement, et sur les précautions dont il conviendrait qu’il soit assorti. Constituée dans une ville côtière notre association s’est donnée pour objectif la préservation du paysage urbain, et particulièrement des espaces verts dans la ville. Sans contester le bien-fondé d’une politique ambitieuse de relance de la construction de logements dont notre pays a besoin, nous sommes inquiets des dérives qu’il est déjà facile d’observer, avant même que les mesures projetées ne soient mises en place. Certains acteurs de l’urbanisme profitant des contradictions et du flou législatif existant à l’interface des lois ALUR, SRU, « Littoral », lancent d’ores et déjà des programmes immobiliers aux lourdes conséquences sur le paysage urbain. A ces menaces s’ajoutent sur nos côtes celle des récentes tentatives parlementaires d’amender la loi de Protection du littoral.
Ainsi la ville de Concarneau, ville d’Art et d’Histoire, cité balnéaire, port de pêche, de plaisance et de construction navale, et jusqu’ici relativement sauvée des désastreuses proliférations immobilières qu’ont connu beaucoup de villes côtières, voit depuis quelques années son paysage se détériorer insidieusement. Les plus belles villas historiques, où des peintres célèbres ont exercé leur art, sont détruites les unes après les autres, pour y construire des immeubles collectifs de standing, mais sans intérêt architectural et qui défigurent le paysage urbain. La ville de Concarneau est dotée d’un quartier balnéaire typique, de villas côtières et de petites maisons entourées de jardins de tailles variées, où l’implantation d’immeubles collectifs modernes est une aberration paysagère particulièrement choquante dans cet environnement.
Profitant des incitations, certainement justifiées en d’autres lieux, destinées à promouvoir la construction de logements, les donneurs d’ordre, bailleurs sociaux ou non, promoteurs sans scrupule, bureaux d’étude et agents immobiliers manœuvrent les élus, traquant la moindre parcelle verte, publique ou privée, aux fins de construction immobilière.
Utilisant la lutte contre l’étalement urbain comme d’un prétexte, ces donneurs d’ordre pourchassent les « dents creuses », au détriment de toutes les respirations urbaines que constituent les jardins et parcs des anciennes villas. Les offres surdimensionnées des promoteurs font monter les prix dans le quartier, qui devient inaccessible à d’éventuels acquéreurs individuels. Ce faisant, la belle ville disparait progressivement, le cadre de vie des habitants se détériore, remplacé par un tissu urbain densifié à l’extrême, et l’attractivité d’une des dernières très belles villes côtières de notre pays sera bientôt remplacée par la seule motivation de la rentabilité spéculative.
La suppression des espaces verts dans les belles villes côtières sauvera-t-elle la planète? Alors que persistent des friches industrielles ou des hangars immenses en pleine ville, auxquelles les promoteurs ne s’attaquent pas!
Lors des dernières annonces gouvernementales destinées à faciliter la construction de logements, il a été évoqué le concept de « zones tendues ». A l’évidence, la ville de Concarneau n’est pas en situation « tendue ». D’après l’INSEE, 9,6% de logements vacants étaient recensés en 2014, sur un total de 12918 logements existants, pour une population aux alentours de 19000 habitants qui stagne depuis dix ans, faute d’offres locales d’emploi. Malgré cela, de vastes programmes immobiliers sont d’ores et déjà en cours de réalisation, qui prévoient plusieurs milliers de logements supplémentaires.
Dans ces conditions, Monsieur le Ministre, est-il vraiment nécessaire de poursuivre dans ce type d’agglomération côtière une telle fuite en avant, au prix de la destruction définitive de paysages urbains remarquables, d’espaces verts refuges de biodiversité, et de bâtiments porteurs d’histoire?
Soucieuse d’apporter sa réflexion à la problématique de votre mission, où se contredisent l’exigence de densification, pour protéger la nature, l’exigence de respirations (espaces verts, circulation, cadre de vie, …) nécessaires aux villes, pour protéger la santé des habitants, et l’exigence de protection du patrimoine, due aux générations futures, notre Association a souhaité vous faire part de quelques propositions concrètes.
Une définition explicite des « zones tendues » devrait permettre l’établissement d’une cartographie limitant exclusivement les aides et incitations à la construction de logements à ces zones.
Dans une période où la construction de logements est devenue une priorité nationale, il est urgent d’en fixer les règles et limites en termes de protection des paysages urbains. L’obligation devrait être faite aux communes en particulier celles qui bénéficient de statuts d’exception (« Art et Histoire », …) de redéfinir et d’étendre sans délai les Sites Patrimoniaux Remarquables, créés par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, en remplacement des ZPPAUP ou des AVAP.
Une définition claire des « dents creuses » au coeur des villes devrait en exclure les espaces verts quelle que soit leur taille. Qu’ils soient publics ou privés, les terrains arborés en ville participent à la santé des villes et de leurs habitants, contribuent à la qualité de vie, et réduisent la pollution. Un espace naturel situé en ville est au moins aussi précieux que celui que la réglementation qui s’oppose au mitage cherche à préserver. Ces espaces devraient pouvoir être rendus non constructibles par le moyen de révisions des PLU, dont la procédure devrait être simplifiée et plus rapide. A tout le moins, une proportion minimale d’espaces naturels préservés par unité de secteur urbain devrait pouvoir être imposée aux communes, dans le cadre de la construction de logements.
La loi Littoral, dont un des premiers objectifs visait à encadrer l’aménagement de la côte pour la protéger des excès de la spéculation immobilière, devrait être renforcée pour être applicable y compris en zone urbaine, car elle a été et doit rester gardienne de la qualité de nos côtes.
Monsieur le Ministre, les récentes déclarations du Président de la République à propos du futur « Plan Logement », qui, à juste titre souhaite « booster la construction », en diminuant « la réglementation pour la rendre plus pragmatique, y compris sur des normes qui relèvent de très bons sentiments, quelques fois environnementales et sociales« , ne peuvent s’appliquer sur l’ensemble du territoire. Ces mesures ne seront pas nécessairement utiles dans les régions où les villes sont restées à taille humaine, où la nature et la biodiversité sont encore présentes. La transition écologique et solidaire dont vous avez la lourde charge ne pourra se réaliser aux dépens des espaces naturels. Le Plan Logement est l’occasion pour votre Ministère d’imposer l’équilibre nécessaire au sein de la ville entre la construction et la nature, équilibre essentiel pour la survie à long terme de notre humanité.
Pour le Bureau
Dominique GRUNENWALD
Président d’ASSO CORNOUAILLE
Copie à Monsieur Jacques MEZARD, Ministre de la Cohésion des Territoires