Concarneau en fauteuil roulant. Interview

Concarneau en fauteuil roulant. Interview

Concarneau en fauteuil roulant. Interview

La première loi sur l’accessibilité des lieux publics est votée en 1975 en France. Faute d’empressement, il en faudra une deuxième, trente ans après, en 2005, pour enfoncer le clou. Toujours trop peu appliquée 13 ans après…  Qu’en est-il à Concarneau, en 2018, quant à l’accessibilité de la voirie et des lieux recevant du public, pour les personnes à mobilité réduite?

Asso-Cornouaille a interrogé Marie-Noëlle, une Concarnoise de souche.

 

Depuis quand est-ce que vous vous déplacez en fauteuil roulant ?

Cela fait dix ans. Aujourd’hui j’ai un fauteuil manuel avec assistance électrique :  les moteurs sont dans les roues, une poussée sur la main courante permet de multiplier la force par cinq. Je peux monter toutes les rues en pente. Je pense que je pourrais même monter la côte de Beg-Ménez !… et j’aimerais encore mieux la descendre ! (rires)

Je sors tous les jours, soit seule, soit avec mon compagnon, sauf quand le temps est vraiment trop mauvais. C’est pour ça qu’on a choisi d’habiter en centre-ville. Je vais chez le médecin, chez mon kiné, voir mes parents avenue de la Gare, je me balade en ville.

Quels sont les obstacles à surmonter ?

Le premier obstacle, ce sont les trottoirs défoncés, mal entretenus, trop étroits ou trop hauts. La déclivité des trottoirs c’est dangereux, la pente donne sur la rue et si on n’est pas constamment attentif ou si on fait un geste trop brusque, on risque la chute. Et encore mon fauteuil est de faible gabarit par rapport à ceux qui sont entièrement motorisés.

Souvent ça manque de bateaux. J’emprunte un trottoir et tout à coup il faut traverser mais il n’y a pas d’abaissement du trottoir : si je suis seule, je suis obligée de revenir en arrière. Monter directement la bordure du trottoir, ça pose problème si la bordure est trop haute car il faut prendre un élan, et pour descendre c’est problématique aussi, il y a un risque de bascule.

en descendant la rue Malakoff, parcours du combattant. Sur le trottoir : voiture mal garée, poteau, poubelles… Sur la chaussée:  coussin berlinois, circulation automobile 

Il y parfois des obstacles qui obstruent le passage, comme des barrières ou des plots. Quant aux poubelles, je suis souvent forcée de les déplacer, quelque fois c’est très sale et c’est une raison de porter des gants.

Ne parlons pas des déjections canines, j’ai baptisé une partie de la rue Malakoff et de la rue Bayard, la rue des crottes ; ces incivilités, c’est toute l’année, jusque devant l’entrée de mon immeuble. Et ça m’oblige quelques fois à retourner en arrière.  Je suis forcée de nettoyer mon fauteuil tous les jours, les 4 roues incluses. Je dois faire preuve d’une hygiène sans faille car j’utilise le fauteuil toute la journée à domicile.

Quand il n’y a pas de trottoir et que la rue est étroite, comment cela se passe ?

Là je vais sur la route, à contre-sens quand c’est nécessaire, et pour ma part je laisse passer les voitures quand j’ai une place pour me mettre de côté.

Au moment de la Fête des Filets bleus, je tombe sur des voitures garées à cheval sur le trottoir, je suis obligée de repartir en arrière et d’aller sur la route. Du coup, je mets ma sécurité en danger. Si l’on me voit sur la route, c’est parce qu’il y a un obstacle qui m’empêche de rouler sur le trottoir.

Le partage de la rue ne se fait pas trop mal ?

Je trouve qu’en général les automobilistes sont assez courtois. Ils font attention. Moi aussi, je suis constamment sur le qui-vive. Rue Dumont d’Urville, par exemple, les voitures attendent, elles ne sont pas tout le temps à klaxonner. Il faut aussi que les gens soient au courant, souvent les touristes ne voient pas les panneaux « zone 20 ».

Je n’ai pas de souci, sauf avec les élèves de l’école Saint Jo. Ils sont groupés à l’extérieur du lycée, en train de papoter, ils me regardent et ils ne bougent pas. Parfois je dis tout fort : excusez moi, je ne peux pas passer, et on me regarde comme si j’étais une extra-terrestre. Ça, c’est surtout en début d’année, après ils commencent à comprendre. Avant, quand j’étais en fauteuil manuel, certains venaient même proposer leur aide pour monter la pente.

Quels aménagements s’imposeraient ?

Je vais en ville close malgré les pavés. S’il y a bien une chose que je n’aime pas ce sont les pavés et c’est aussi un problème pour des personnes valides et pour les poussettes. Ils sont bombés, ils sont disjoints, ils ont des arêtes acérées. Ça donne des secousses qui font mal au dos. On crève plus facilement : dernièrement j’ai été forcée de rouler sur la jante. En plus, c’est glissant quand il pleut. En particulier à l’entrée des remparts, il y a un passage périlleux.

Bon, je comprends que la ville close est un ensemble historique et qu’il faut garder son cachet, mais ça pourrait être amélioré.

Concernant le futur réaménagement du centre-ville, je suis un peu inquiète. Les pavés, c’est désastreux et les dalles plates, c’est déjà mieux, mais quand même pas terrible, il y a parfois des arêtes désagréables.

On voit de plus en plus de gens en fauteuil roulant, autonomes ou poussés par quelqu’un. L’été, il y en a beaucoup. Il semblerait que les personnes handicapées, qui restaient cloîtrées auparavant, sortent beaucoup plus et font des voyages.

Il faut en tenir compte. Je pense que l’administration des Bâtiments de France devrait mieux intégrer la dimension des gens en fauteuil et tout ce qui facilite la sécurité des déplacements.


projet de réaménagement du centre-ville, place Général de Gaulle

Qu’en est-il de l’accessibilité des « espaces recevant du public » ?

Je n’ai pas de problème avec les services publics que je fréquente. L’Hôtel de ville est accessible, il n’y a que la place qui est défoncée. J’interviens au foyer logement pour faire de la lecture aux personnes âgées, pas de problème.  La bibliothèque, ça va, sauf la porte qui est très lourde.

Ça, c’est un problème récurrent, quand on veut entrer quelque part et que les portes ne sont pas automatiques. Il faut avancer tout en poussant ou tirant la porte et ce n’est pas facile.

Et pour les magasins, les cafés, etc. ?

Rue Dumont d’Urville, le trottoir est trop étroit, or il faut un espace pour tourner en entrant ou en sortant du magasin et du coup on risque de basculer. En plus il faut manœuvrer tout en ouvrant la porte. Mais on vient m’aider. Ça m’est arrivé de faire mes courses en interpelant les commerçants qui venaient me présenter les articles dehors.

Il y a quand même plein d’endroits qui ne sont pas accessibles. Mais il faut reconnaître que les aménagements nécessaires ne sont pas toujours faciles à réaliser. Dans l’avenue de la Gare, dès qu’il y a des marches, plus la pente, ça pose un problème.

Pour en avoir discuté, je trouve que les normes pour handicapés décidées par Bruxelles sont drastiques. On pourrait parfois, avec des moyens pas trop onéreux, trouver un système satisfaisant. Comme une simple rampe amovible en bois. Face à la ville close, le patron d’un bar voulait mettre une rampe qui aurait dû empiéter sur l’espace public, il n’a pas eu le droit, ni la mairie ni les Bâtiments de France n’ont voulu. (1)

Reste aussi la question de toilettes accessibles dans l’espace public, ça, c’est encore une autre histoire.

Que dire de l’accueil des gens ?

En règle générale, ils sont serviables, aidants. Je m’accroche rarement avec des gens, sauf quelquefois quand ils sont garés sur les places handicapés ou sur les trottoirs.

Il y a juste parfois des réactions inattendues. Un jour, dans la rue, j’entends un petit garçon dire à sa maman : t’as vu ! t’as vu ! La maman lui répond : ne t’inquiète pas mon chéri, la dame est malade. Je me suis retournée : non madame, je ne suis pas malade du tout, mais je vous remercie. Elle était surtout gênée que son fils me montre du doigt… Les enfants sont très attirés par le fauteuil.

Avez-vous parfois senti votre sécurité vraiment en danger?

Jamais gravement. Juste une anecdote : lors d’un séjour dans un service de rééducation, je prenais l’ascenseur en marche arrière pour pouvoir mieux sortir après. Je ne regardais même pas derrière moi. Heureusement ce jour-là je me suis présentée en marche avant :  j’appelle l’ascenseur, les portes s’ouvrent, j’allais avancer mon fauteuil et j’aperçois du vide, la cabine n’était pas là.

Point sur l’application de la réglementation à Concarneau

Que dit la législation ? Une « loi d’orientation en faveur des personnes handicapées » est votée en 1975, mais peu appliquée. Trente ans après, en 2005, la « Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » réaffirme l’obligation de prévoir l’accessibilité dans les établissements recevant du public (ERP) dès leur construction, et pour les établissements non accessibles, de réaliser les travaux d’adaptation dans un délai de dix ans. Retard sur retard, le délai est prolongé en 2014 par l’introduction d’un « agenda d’accessibilité » pour les ERP non conformes, agenda à déposer en préfecture en 2015, avec la menace d’une amende de 45 000 euros en cas de défaut. Est précisé ceci : « Pour les établissements qui ne peuvent pas être rendus accessibles, il faut demander une dérogation à la préfecture. Pour les établissements accessibles, le gestionnaire doit faire une déclaration sur l’honneur. Enfin, les travaux d’accessibilité doivent être programmés sur une période de trois, six ou neuf ans ».

Selon l’Association des Paralysés de France, relayée par Le Télégramme du 26 septembre 2018, toujours pas d’agenda d’accessibilité à Concarneau ! Une commission a bien été créée en 2014 ; un diagnostic a été réalisé en 2017 ; et l’agenda est annoncé pour 2019…

Les personnes en situation de handicap seraient-elles la dernière roue du carrosse ?

A noter que sur 66 millions de Français, 12 millions sont touchés par un handicap (chiffres 2016). Parmi eux, 80% souffrent d’un handicap invisible, 1,5 millions sont atteint d’une déficience visuelle et 850 000 ont une mobilité réduite. Personne n’est à l’abri.

(1) « Cap au vin », le bar qui s’est ouvert sur le voilier « Profites », amarré quai Carnot, est accessible à tous. Le gérant est un ancien pompier, attentif à la situation des personnes handicapées. Soutien à des associations, projet de faire travailler des personnes handicapés : c’est de l’économie sociale et solidaire. Tél. : 06 62 02 91 20

Etienne Lang

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