Billet d’humeur

Mon billet d’humeur est un billet de fort mauvaise humeur.
Certes, je ne suis qu’une citoyenne lambda, mais depuis 2 ans, une citoyenne concarnoise, retournant sur des lieux chéris de longue date.
Concarneau, ville d’Art et d’Histoire, son patrimoine architectural, ses traditions, la nature, la mer à proximité, je jouissais jusqu’alors d’une vie quotidienne paisible, agréable, et c’est avec fierté que je la considérais comme privilégiée.
Beauté et Tranquilité…deux mots qui finalement définissent le souhait le plus cher d’une grande majorité des citoyens, quelque soit leur situation sociale. Et Concarneau pouvait encore se targuer d’offrir ce rêve. Mais tout à coup la dure réalité fait irruption et me percute de plein fouet.
Je vis au sein du quartier de la corniche, jusque là considéré comme résidentiel et préservé et offrant un écrin précieux au front de mer quotidiennement apprécié par tous les concarnois. En l’espace de quelques mois des permis de construire apparaissent furtivement au détour de certaines rues, et l’information qu’ils délivrent va changer ma vie.
La Beauté et la Tranquilité vont être expulsées du quartier. Je vais en être dorénavant privée et ma mauvaise humeur pourrait en fait s’apparenter à une franche colère. Au quotidien je devrais bien malgré moi apprendre à vivre avec moins d’arbres, moins de belles maisons, moins de belles vues, moins de calme, moins de beauté donc, mais par contre plus de béton, plus de voitures, plus de circulation, plus de bruit, plus de pollution et toutes les conséquences qui peuvent en découler.
Plongée dans les affres d’un profond désarroi et encore sonnée par les changements auxquels je devrais éventuellement faire face, les conversations et échanges entre nous, les victimes de la densification urbaine, vont bon train. Certains de mes voisins abattus par l’inquiétude et habités par l’angoisse qui commence à s’installer dans leur quotidien vont dévoiler peu à peu leurs tourments et leurs perspectives d’avenir bien sombres. Tel ce concarnois de souche, courbé dans sa prestance, non pas seulement par le poids des ans, mais par le poids de l’immense tristesse qui s’est abattue sur sa vie et qui me dit:
» Ca devrait être puni de priver les gens de leur soleil ».
Exit les plans de tomates et les fraises, seul un immeuble de 3 étages est prévu de pousser à la saison prochaine, au fond de son jardin. Ici j’y vois une tragédie.
Ou bien cette Dame, telle qu’on peut se l’imaginer le vendredi matin sur la place du marché, papotant et rigolant avec ses copines. Son sourire n’est plus aujourd’hui qu’un rictus de rage et d’indignation:
« J’ai garé ma voiture au bout de l’impasse pour empêcher le tractopelle de pénétrer ».
Depuis 3 mois, cette personne s’est elle-même privée d’un des ses droits de citoyenne le plus précieux, celui « d’aller et venir » . Bien qu’il change sa vie, ce sacrifice lui parait nécessaire pour se faire entendre. Ici j’y vois une aberration.
Et ce couple, heureux qu’ils étaient, après bien des sacrifices, de posséder un bien immobilier d’une certaine valeur, qu’ils projetaient de transmettre à leurs enfants. Aujourd’hui ce bien est dénaturé et fortement dévalué. Que vaudra leur maison avec comme vis à vis à 5mètres de leur clôture un immeuble de 4 étages et 30 logements? Ici j’y vois une injustice.
J’ai choisi ces 3 exemples, mais ce sont des centaines, oui, j’ai bien dit des centaines, de riverains qui vivent tout pareillement des drames intimes, des préjudices moraux et émotionnels, des préjudices de vie.
Si je pose alors la question : Mais comment est-il possible que toutes ces vies impactées, que toutes ces tragédies, ces aberrations, ces injustices et ces préjudices restent ignorés ? eh bien la réponse tombe, laconique, telle la lame d’un couperet glacial et fatal: « Mais nous sommes en accord avec le PLU « (Plan Local d’Urbanisme).
Alors donc nous y voici. L’absolue suprématie du PLU sur les histoires vécues.
Et ceci est tout simplement inacceptable.
Mais de quoi sont donc fait celles et ceux qui se retranchent derrière une réglementation? Ce sont pourtant (et malheureusement) ces mêmes édiles chargés de veiller sur le Bien Commun, l’Intéret Général…je vous épargnerai ici des références explicites et exhaustives à Platon et Rousseau qui pourtant sont enseignés à nos jeunes pour éveiller leurs esprits…mais je souhaite néanmoins rappeler à ceux pour qui les cours de philosophie ne sont que de lointains souvenirs que le bien commun est le fondement de toute organisation sociale et politique.
Et donc? Dans un projet de densification urbaine..ou est -il? Le bien commun.
Nous les citoyens, les riverains, les victimes, nous que personne n’a consulté, nous qui avons été superbement ignorés, nous qui avons été niés, pris de court, pris par surprise, nous, nous pouvons répondre à cette question épineuse. Le Bien commun n’est pas dans l’hyper urbanisation. Si je consulte les pages de la pétition de » l’Asso Cornouaille » les mots des signataires qui reviennent toujours et encore sont les suivants: préservons, protégeons, défendons, respectons. Ne sont-ils pas significatifs? Ils sous entendent de façon évidente des notions de menace, de dégradation, de destruction pressenties par les citoyens qui s’expriment sur cette plateforme et auxquels je m’associe bien évidemment.
Il est tout à fait indigne et malhonnête d’essayer de faire passer de tels projets en force, au mépris des considérations humaines, écologiques, historiques, esthétiques et individuellement ou collectivement patrimoniales. En ce sens, c’est avec un profond sentiment d’injustice, que je relis cet extrait du Schéma de Cohérence Littorale (SCoT) de Concarneau affirmant porter une attention particulière à l’aménagement des espaces littoraux en … « limitant voire interdisant les constructions nouvelles » et je souhaiterai rappeler à ceux habités par des élans de modernité intempestifs et destructeurs que « Nul n’est censé ignorer la loi ».
Sophie M-C.